La révolution numérique est un enjeu majeur de transformation des entreprises et organisations, tant au business qu’au niveau du fonctionnement interne et externe. En agilité, on a tendance à mettre en avant les personnes et les interactions plutôt que les processus et les outils. Ce n’est pas que l’on considère que les outils et les méthodes n’ont pas de valeurs, personne ne souhaite revenir à l’âge de pierre, mais nous préférons favoriser la 1ère partie autant que possible parce-que c’est, tout simplement, plus efficace.
A l’ère de la révolution numérique peut-on tenir le même discours ?
L’illusion de la méthode ou de l’outil miracle
Lorsque j’anime des formations ou que j’accompagne des équipes, je suis régulièrement assailli de demandes concernant les « méthodes miracles » qu’il faudrait mettre en place pour résoudre tel ou tel problème, être plus efficace, réparer ce qui est cassé…
Malheureusement, les méthodes et leurs outils ne sont que très rarement des réponses satisfaisantes. Pire, elles ne sont efficaces que quand le système fonctionnait déjà avant leur mise en place. Là où elles sont utiles, c’est pour optimiser des fonctionnements existants, automatiser des tâches répétitives ou simplifier notre existence.
J’ai pu expérimenter dernièrement chez un client, un fabuleux outil de réservation de salle entièrement automatisé. Résultat : 1 heure par jour de perdue à chercher des salles disponibles et changer de salle avec 12 personnes et le matériels qui va avec. Comment cela est-il possible ?
- Un secrétariat qui n’a pas accès à l’outil de réservation (codes perdus et en attente du SI et pas de visibilité complète de l’outil pour cause de sécurité).
- Une planification de l’intervention à distance depuis le siège.
- Un numéro de réservation non communiqué qui est le seul élément permettant de retrouver les salles.
- Des salles, fermées ou ré-allouées qui sont toujours disponibles dans l’outil.
- Des salles sous dimensionnées qui ne tiennent pas compte de la conformation de celle-ci ou des équipements.
- Du surbooking défensifs, je réserve au cas où, mais je ne libère pas quand j’en ai plus besoin, surtout si c’est fait de loin.
- Du surbooking capacitif, je réserve une grande salle même si on est que deux.
- De la préemption autoritaire de salle sans passer par l’outil, parce qu’il faut bien bosser quand ça ne marche pas et dans ces cas-là c’est « moi » d’abord.
- De l’égo surdimensionné, c’est « ma » salle.
- ….
- Plus d’humain et encore moins d’interactions entre ceux-ci…
Tout ceci entrainant une déresponsabilisation globale avec pour seul réponse à mes demandes un : « l’outil ne le permet pas » ou un « c’est toujours comme ça ici » ou encore un « Non, ce n’est pas possible ».
Mais comment en sommes-nous arrivé là ?
La « révolution numérique pour » ou la « révolution numérique sur »
Nous passons, malheureusement, le plus claire de notre temps à mettre les personnes dans des processus et des outils, à tel point que nous avons oublié à quoi sont censés servir ces outils et « quoi » est censé être au service de « qui ».
Sommes-nous dans une révolution numérique pour émanciper, libérer, créer de la valeur où sommes-nous dans une révolution numérique qui a pris le pourvoir sur les personnes au service de quelque chose d’autre… on peut se poser la question.
Les causes de ce types de dysfonctionnement sont nombreuses (et parfois multiples) et je vais tenter d’en lister les principales :
Une pensée en réduction de coût et non en augmentation de valeur :
Un bon nombre de décisions sont dictées par une politique de réduction de couts qui peut engendrer par la suite (à moyen ou plus long terme) une vraie incapacité à produire de la valeur. Les exemples sont nombreux, mais un m’avais particulièrement marqué, c’était dans une grosse société, la politique de réduction des couts avait entrainé une coupe drastique dans le maintien des équipes de tests unitaires. Ceci avait eu pour effet de repousser la découverte des bugs en phase d’intégration par des équipes qui n’étaient plus en capacité de faire leur travail correctement. Les bugs, un temps de cycle plus tard, se sont faufilés jusqu’au client nécessitant des rappels de produits massifs, une perte de confiance et en définitive la fermeture du site montré du doigt. L’apparente réduction de coût n’avait duré qu’un cycle de création produit, soit quelques 8 mois dans le cas présent. L’effet boule de neige avait duré 2 ans avant que l’entité concernée ne disparaisse dans la tourmente.
Une pensée descendante éloignée du vrai besoin :
Les décisions sont souvent prises par des organes qui n’ont qu’une partie de l’équation et qui sont loin du terrain. Ceux-ci, font alors des choix biaisés, avec pour conséquence une mauvaise adéquation aux besoins. Et quand les investissements en jeux sont importants, on préférera souvent s’entêter et continuer sur la voie même si elle est sans issue. La vie industrielle est pleine de décisions top/down qui ont engendré des échecs commerciaux retentissants.
L’absence de feedback dans la boucle de création :
Si les décisions sont prises loin du terrain, comment fait-on pour savoir si les besoins sont couverts, on met en place des boucles de feedback bien sûr ! Ce bon sens, est bien souvent oublié et on trouvera souvent à la place un plan massif de formation. Cette forme d’aveuglement, tend encore une fois à mettre les gens en conformité avec les outils et les normes, plutôt que l’inverse. Vous l’aurez compris, ne pas griller les étapes consiste à mettre en œuvre une politique de feedback régulière tout au long de l’élaboration de l’outil, depuis l’analyse de besoin, jusqu’à son utilisation, en prenant en compte que les choses vont évoluer, se préciser au fur et à mesure que l’on utilisera le produit et que celui-ci émergera.
Une culture de recherche du coupable qui déresponsabilise :
On peut généralement entendre des « Ce n’est pas moi, c’est l’outil » ou « Ce n’est pas à moi de prendre ce type de décision ».
Comment en est-on arrivé là ? Bien souvent une culture de recherche de coupable a conduit très rapidement, après quelques sanctions personnellement vécues ou exemples bien connus de tous, à calmer les ardeurs des plus entreprenants et à mettre en place des mécanismes de protections. Dans ce type de systèmes, il vaut mieux être le râleur que la victime. On se réfugie donc derrière les procédures, on en demande d’ailleurs toujours plus. On peut alors rentrer dans des relations que j’appelle de type purement contractuelles : « Si ce n’est pas écrit, je ne fais pas ». Les outils seront alors une excuse pour jouer sur les trous dans la raquette et comme il est impossible d’être exhaustif, le système risque bien de se gripper encore plus.
Une culture de la confiance et la mise en avant de la « collaboration » par rapport au « contrat » sont de bons réflexes agiles pour éviter de tomber dans les écueils.
J’ai souvenir d’une mission où l’on m’expliquait que le collaboratif était un échec, preuve à l’appui, ce projet de réalisation par les acteurs de terrains de leurs futurs équipements de protection individuels. Traité par une petite équipe de terrain, le projet était passé d’une conception de prototype locale à un déploiement en grande série au national avec au final un échec dans l’acception du nouvel équipement. Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage, il en va de même des projets locaux et expérimentaux que l’on généralise trop vite pour les précipiter vers la sortie et justifier ce que l’on veut défendre.
Au passage ce projet était un combo avec, à minima, punition des coupables, manque d’étapes de feedback et décision de déploiement top/down à but sacrificiel alors qu’ils avaient tous les outils du mode 3.0 à leur disposition (dixit le manager).
Un constat d’échec de la communication, révolution numérique ou pas :
Parfois l’outil et la procédure, viennent pour essayer de réparer ou se substituer à un mode de communication défaillant. L’énergie ou l’envie n’y étant pas le résultat sera tout au plus minimaliste et vraisemblablement dénué de sens. Cela se retrouve particulièrement dans les reporting verticaux qui sont fournis bien souvent avec peu d’entrain. On retrouve cela aussi dans la communication entre équipes distantes. Le problème est souvent moins de leur fournir un outil de communication à distance que de leur permettre de partager de l’empathie, d’avoir des enjeux communs et sans concurrence sur les ressources ou le résultat.
Bon nombres d’exemples de relations de partenariat ou de sous-traitance peuvent tourner court quand on ne partage pas les mêmes enjeux. La réalisation de projet en cycle en V n’aidant pas avec ses phases d’intégration tardives. Il n’est en effet pas rare de considérer l’autre comme un empêcheur de tourner en rond jusqu’à ces phases finales, où en définitive, devant le client nous auront tous à répondre collectivement.
Les outils de la révolution numériques ne permettent pas en eux même (de manière intrinsèque) de partager les enjeux et de réconcilier les personnes. C’est bien l’usage et la façon de communiquer qui le permettront ou pas.
Un désir d’unicité :
Une seule façon de faire, de voir ou d’être vu découle bien souvent d’une volonté de contrôle. Dans cette logique l’unicité est un gain de temps et d’énergie… à court terme. Changer les habitudes des gens à un coût et changer quelque chose qui marche juste pour le désir de mieux contrôler peut sembler contreproductif. Les communautés de pratiques fonctionnent très bien, tant que l’on ne leur impose pas la façon qu’elles ont de fonctionner. A vouloir voir qu’une seule tête on risque bien de n’avoir plus qu’un cerveau. A l’heure où la richesse se trouve aux interfaces des mondes, que l’innovation se nourrit de la diversité, il parait dommage de vouloir imposer des solutions uniques. La réglementation, les normes externes sont déjà des contraintes avec lesquelles les entreprises doivent composer, il serait surement contreproductif de rajouter des couches internes.
La perte de sens
Tout ceci traduit bien souvent une perte de sens globale au sein des organisations. Les découpes en silos sont bien souvent, en parti, à l’origine de ce genre de perte de repère. Chacun a ses objectifs et pilote avec des indicateurs parcellaires. Le sens est perdu dès la genèse, on y parle, bien souvent, fonctions, contrats, objectifs chiffrés. On parle de coût salarial et de ressources humaines et pas assez souvent d’humain et même assez rarement de client.
La perte de sens nous conduit à acheter partout dans l’organisation des heures de travail et par voie de conséquence ce que l’on obtient c’est du travail et seulement du travail, alors que notre valeur n’est pas le travail, notre travail est de créer de la valeur et dans ce cadre-là, le sens est premier.
Redonner du sens aux équipes passe par la remise en questions des modèles actuels de management et nécessite de la transparence, de la pédagogie et de la confiance.
Sans sens, on se perd (…basique) et on ne peut pas mobiliser notre intelligence pour résoudre les bons problèmes (…simple). Tout ceci est bien dommage au moment où, dans nos environnements complexes, l’on demande aux gens d’utiliser leur bon sens et de faire des choix intelligents.
Comment s’en sortir et réussir sa révolution numérique ?
Mettre les personnes et le sens au centre de la démarche
Les démarches sont bien sûr propres à chaque contexte, mais de manière générale quelques principes sont plutôt salutaires :
- Partager les enjeux (les vrais)
- Partir des besoins des acteurs de terrains.
- Co construire de manière itérative les solutions en intégrant des feedbacks réguliers.
- Arrêter avec la volonté de tout prévoir, de tout anticiper, de tout contrôler et préférer un mode adaptatif en émergence et orienté création de valeur.
- Créer des boucles d’améliorations continues.
En bref et si vous adoptiez une démarche agile de réalisation de votre révolution numérique pour qu’elle soit au service de l’humain ?
Si vous êtes d’accord taper #1, si vous n’êtes pas d’accord tapez #2…
Non, je plaisante, appelez-moi qu’on en discute…. Contactez-nous